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James Tissot enfin exposé au musée d’Orsay

12/08/2020

Presqu’ oublié au milieu du XXème siècle avant une première rétrospective de son oeuvre au Petit Palais en 1985, James Tissot est revenu progressivement orner les cimaises des plus grands musées français. Ces dernières années, ses toiles ont pu être remarquées dans plusieurs grandes expositions parisiennes – citons par exemple L’impressionnisme et la mode (Musée d’Orsay, 2013), Spectaculaire Second Empire (Musée d’Orsay, 2016), Kimono, au bonheur des dames (Musée national des arts asiatiques, 2017) ou encore Les impressionnistes à Londres (Petit Palais, 2018) – si bien que certaines sont devenues familières aux amateurs d’art et visiteurs de musées réguliers. Pourtant, l’artiste méritait assurément sa propre exposition dans son pays d’origine, après l’exposition montrée au Chiostro del Bramante à Rome sous le commissariat de Cyrille Sciama (également co-commissaire de l’exposition du musée d’Orsay). C’est donc avec beaucoup d’impatience que nous attendions l’exposition rétrospective du musée d’Orsay qui a finalement ouvert ses portes au public le 23 juin dernier après avoir été reportée en raison de la crise sanitaire

James Tissot, La Galerie du H. M. S. Calcutta (Portsmouth), vers 1876, huile sur toile, 68,2 x 91,8 cm, Londres, Tate Britain © Tate, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / Tate Photography / James Tissot

D’abord présentée au Fine Arts Museum de San Francisco du 10 octobre 2019 au 9 février 2020, cette grande rétrospective dresse le portrait d’un artiste aux multiples facettes, d’abord peintre de portraits et de scènes de genre qui firent sa renommée en France et en Angleterre, mais également graveur ou émailleur. Si les recherches récentes ont permis d’approfondir la connaissance de son oeuvre, James Tissot reste un artiste énigmatique.

Né en 1836 à Nantes, il commence sa carrière artistique à vingt ans quand il s’installe à Paris pour suivre des cours auprès de Louis Lamothe (1822-1869) puis à l’Ecole des Beaux-Arts. On dispose de peu d’éléments sur sa jeunesse, ses inspirations, ses doutes ou ses ambitions, alors que sa production est extrêmement bien documentée dès les premières années de sa carrière (tenue d’un livre de raison et d’un album photographique). Tissot trouble car il ne fait partie d’aucun mouvement, même si on l’associe fréquemment à ses contemporains impressionnistes, comme Degas ou Whistler, ou pré-raphaélites avec lesquels il entretient de fréquents contacts. En constant renouvellement, l’artiste qui obtient pourtant rapidement du succès, est déjà mal compris à son époque car on l’accuse de ne suivre aucun style, se passionnant tour à tour pour la peinture germanique médiévale, l’historicisme, le japonisme ou la représentation de la vie moderne. Abordant chacun de ses aspects de son oeuvre en suivant un ordre chronologique (les premières années de sa carrière, les portraits modernes, son intérêt pour le Japon, son rôle d’observateur lors de la Commune de Paris, ses premiers succès anglais, sa vie à St James’ Wood avec Kathleen Newton, le cycle de la Femme à Paris, ses voyages en terre sainte ), l’exposition du musée d’Orsay parvient à donner une cohérence au parcours de Tissot. Aucune confusion dans la présentation, les choses sont claires, même si l’on sent bien que l’artiste emprunte différentes voies, il suit son propre cheminement vers la modernité. C’est ce qui selon moi rend son travail véritablement digne d’intérêt. 

James Tissot, Portrait du marquis et de la marquise de Miramon et de leurs enfants, 1865, huile sur toile, H. 177 ; L. 217 cm
© Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

Sa singularité se trouve dans sa capacité à raconter une histoire, à exprimer les sentiments à travers la représentation des corps et des objets. Mais, contrairement aux « narrative paintings » qui sont en vogue dans la peinture britannique, James Tissot ne dit pas tout et ne cherche pas à donner une morale à ses histoires en peinture. Dans ses oeuvres de Londres, il réinvente les codes, avec un regard qui semble ironique et facétieux sur la société britannique (par ex. Le Bal sur le Pont, vers 1874 ou La Galerie du HMS Calcutta, vers 1876). Tissot, c’est avant tout le maître du détail, celui qui gêne ou qui questionne. Derrière les drapés superbement exécutés des robes à tournures ou des costumes à la dernière mode, il y a des papiers jetés, des mégots écrasés ou des chapeaux abandonnés (Le Cercle de la rue royale, 1866 ou Une convalescente, 1876). En fin observateur de son temps, il montre un monde imparfait, une société en plein bouleversement.

A l’affût des dernières tendances, celui qu’on accusât de copier les autres peintres au début de sa carrière est en réalité souvent en avance sur ses contemporains. On peut mentionner en particulier son intérêt pour l’art japonais qu’il collectionne dès les années 1860 et qui prend d’abord forme dans une série de peintures, puis plus tard dans la production de pièces décoratives en émail cloisonné. Certaines toiles de cette période, véritables petits chefs d’oeuvre d’une extrême finesse, sont de très belles découvertes, comme Le rouleau japonais, 1874 ou le pastel Portrait de Mathilde Sée (Petit Palais, vers 1885) .

Tissot pastel Mathilde Sée
James Tissot, Portrait de Mathilde Sée, vers 1885, Pastel sur papier collé sur toile, H. 61,5 x l. 77 cm,
© Petit Palais, Paris Musées

Une des réussites de l’exposition est d’être parvenu à réunir 7 des 15 peintures du cycle intitulé « Une femme à Paris » dans une salle dédiée. Cette présentation nous permet de saisir encore mieux l’aspect cinématographique de l’oeuvre de Tissot. En effet, dans certaines peintures, comme Les femmes d’artistes ou La Demoiselle de magasin, le visiteur devient plus qu’un simple spectateur ; il est invité à prendre part à la scène qui se déroule sous ses yeux. Déjà, dans des oeuvres de la période londonienne, le cadrage nous avait paru très moderne (Jour de congé, vers 1876), tel un instantané photographique. Dans un tout un autre genre, religieux cette fois, qui correspond à la dernière partie de la carrière de Tissot, ce dernier construit ses illustrations afin qu’elle puissent être projetées au plus grand nombre grâce au cinématrographe.

Fort bien réalisée, cette exposition est assurément un bel hommage au peintre car elle donne un bon aperçu de tous les aspects de sa carrière. Profitons-en également pour féliciter l’effort des commissaires de rendre cette exposition accessible au plus grand nombre (prises de paroles sur les réseaux sociaux, pédagogie du livret d’accompagnement). Ceux qui souhaiteraient aller plus loin dans la connaissance de James Tissot pourront compléter cette visite par la lecture du catalogue, également très instructif car faisant état des dernières découvertes sur le peintre, ou encore des contenus encore disponibles sur le web.

Exposition James Tissot, l’ambigu moderne
Musée d’Orsay, Paris
Jusqu’au 13 septembre 2020

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