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Le musée de la vie romantique au féminin

30/04/2022

Un pied encore posé sur le rocher au bord de la falaise, une femme enlace sa lyre et s’apprête à faire le dernier saut. Déjà, le poids de son corps l’emporte vers le vide et fait voler derrière elle ses voiles. Son visage déterminé, finement éclairé par la Lune, montre des yeux clos. Le spectateur assiste à l’instant fatidique, juste avant qu’elle ne disparaisse à jamais dans les eaux noires de la mer ionienne. Cette scène dont le premier rôle est tenu par la poétesse Sapho, est représentée par le peintre Antoine-Jean Gros (1771-1835) en 1801 et réunit déjà – on en est encore aux prémisses du mouvement romantique – tous les attributs des héroïnes mis en avant dans les arts de la première moitié du XIXe siècle. C’est avec cette peinture sublime, Sapho à Leucate, que s’ouvre l’exposition du Musée de la Vie romantique consacrée aux héroïnes romantiques.

Antoine-Jean Gros (1771-1835), Sapho à Leucate, 1801, huile sur toile, 122 x 100 cm, Bayeux, musée d’art et d’histoire Baron-Gérard (MAHB) Photo (C) RMN- Grand Palais / Jean Popovitch

Qui sont-elles, comment sont-elles représentées et quelle est la diffusion de ces images ? Voici quelques-unes des questions auxquelles les deux conservatrices du musée parisien ont cherché à apporter des réponses en présentant une centaine d’œuvres, de techniques diverses. Sujet ô combien passionnant, jamais véritablement abordé. Grand sujet pour un petit musée. Les dimensions contraignantes du musée ne permettant pas d’aller au bout de la réflexion, il faudra aller chercher dans le catalogue de l’exposition pour découvrir d’autres représentations et des ouvertures sur la condition féminine au XIXe siècle.

Figures historiques, littéraires ou scéniques : une certaine vision du féminin

Mais revenons au cœur de l’exposition dont le parcours est organisé autour de trois thématiques : les héroïnes du passé historique ou mythologique, le théâtre shakespearien et le genre du roman, et la diffusion des héroïnes romantiques sur la scène. La première partie nous montre des personnages connus et largement diffusés dans la culture populaire : on croise ainsi Jeanne d’Arc, Marie Stuart, Héloïse ou Cléopâtre. Elles ont en commun un destin exceptionnel mais tragique, lié à leur soif de liberté, leur volonté de vivre leurs propres passions. Certaines deviennent saintes ou martyres. La petite salle annexe dont l’accrochage vise à s’interroger sur le caractère violent de ces héroïnes montre malheureusement un ensemble très hétérogène – une Médée furieuse d’Eugène Delacroix (1798-1863) jouxte une représentation de Christine de Suède par Félicie de Fauveau (1801-1886) et des photographies de Julia Margaret Cameron (1815-1879) – qui ne permet pas vraiment de comprendre le sens du propos.  

La seconde partie de l’exposition, centrée sur la littérature, me semble la plus réussie. Visuellement d’abord, car la scénographie permet d’un seul coup d’œil de visualiser les caractéristiques communes des modèles romantiques : tunique blanche, peau diaphane, chevelure défaite, poses dignes des plus grandes dramaturges. La peinture choisie pour illustrer l’affiche de l’exposition, Ophélia de Léopold Berthe (1823-1860) est un parfait exemple de l’intérêt pour la représentation des belles mortes au XIXe siècle. Le choix des œuvres semble également pertinent car il met en face des romans les œuvres picturales qui s’en sont inspiré. Comme La Liseuse de Charles de Steuben (1788-1856), cette atmosphère nous invite à la rêverie.  

Enfin, l’exposition aborde le sujet de la diffusion des héroïnes romantiques par le théâtre, l’opéra ou le ballet, qui deviennent populaires au XIXe siècle. Ainsi en est-il de la Sylphide, ballet créé en 1832 à l’Opéra de Paris et interprété par la danseuse Marie Taglioni. Personnage emprunté à la mythologie celte et scandinave, la Sylphide est un génie féminin ailé, qui réunit la grâce et la fragilité, deux qualités que l’on attribue à l’idéal féminin. Parfois le destin des interprètes de ces héroïnes de scène se confond avec celui de leur personnage, telle la comédienne Rachel qui meurt malade et dans le plus grand dénuement en 1858 après une carrière couronnée de succès.

Petits maîtres et artistes femmes  

A côté des œuvres – parfois méconnues – des grands noms du romantisme Delacroix, Chassériau, Deveria ou Ary Scheffer (dans sa maison), cette exposition réserve aussi une place aux petits maîtres chers à mon cœur. Comment ne pas être ému par la Lady Macbeth aux mains croisées de Charles Louis Müller (1815-1892) ou charmé par la représentation de Marie Taglioni dans la Sylphide par Gabriel Lépaulle (1804-1886) ?

Et puisque l’on parle ici du féminin, le musée n’oublie pas de mettre en avant des artistes femmes dans l’époque romantique. Du côté de la littérature, sont ainsi évoqués les noms des romancières célèbres George Sand et Germaine de Staël, mais aussi de la moins connue Sophie Cottin. En sculpture, on se plaira à admirer les œuvres de Marie d’Orléans et de Félicie de Fauveau. Enfin, le visiteur pourra découvrir les peintures de Frédérique O’Connell (1823-1885), Rosalie Caron (1791-1860), Marie-Victoire Jaquotot (1772-1855) ou encore Eugénie Henry (1808-1879). On regrettera juste de ne pas avoir beaucoup d’informations sur les artistes en question, mais puisque l’exposition est centrée sur le sujet et non les auteurs, nous pardonnerons ces imprécisions. Au sujet des artistes femmes, on pourra s’étonner que leur représentation des héroïnes romantiques ne diffère pas de celles de leurs homologues masculins : ainsi, dans sa représentation de Notre-Dame-de-Paris, Eugénie Henry montre une Esmeralda très sensuelle, vêtue d’une tunique blanche laissant apparaître un sein nu. C’est bien la preuve de la diffusion importante des codes esthétiques liés aux représentations féminines dans la première moitié du XIXe siècle.

Au-delà du modèle de la femme victime  

Car le sujet sous-jacent de l’exposition est aussi celui de la place de la femme dans ce début du XIXe siècle qui voit l’adoption d’un Code civil qui lui est absolument défavorable puisqu’elle n’a aucun droit sinon celui d’être protégé par le chef de famille. Dès lors, le XIXe siècle sera pour les femmes une période de revendications. De grandes figures féministes, comme Floria Tristan ou Sophie Grangé, font entendre leur voix. Quelques femmes tentent de se faire une place en politique, tandis que d’autres bravent tous les dangers pour partir seules en voyage dans des contrées hostiles. Loin du modèle de la femme fragile dont on attend toutes les vertus, une autre voix – vers l’émancipation – voit le jour. Premières réflexions dans un champ de recherche en devenir, cette exposition parvient ainsi à remettre le sujet de la représentation des femmes dans les arts romantiques dans un contexte parfois difficilement compréhensible par nos points de vue contemporains. Nous ne doutons pas que le Musée de la Vie romantique nous réserve encore de bien belles surprises.

M.D.

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