Tout a commencé par un appel. Une bouteille à la mer. Début septembre 2021, Margaux Brugvin, connue sur les Instagram pour ses portraits d’artistes femmes, visite le musée d’arts de Nantes. Alors qu’elle déambule dans les salles du musée, elle s’arrête devant une toile intitulée L’éventail de grand-mère peinte en 1887 par une femme artiste prénommée « Virginie Géo-Rémy ». Sur le cartel, deux points d’interrogation à la place des dates de naissance et de mort. Cette peinture moderne par son point de vue – une femme vue de dos – l’intriguant à plus d’un titre, elle suggère aux étudiants dix-neuvièmistes d’en faire leur sujet de recherche. Ni une, ni deux, je me lance, même si je ne suis plus étudiante, j’ai gardé quelques réflexes de mes années de recherches et j’aime beaucoup ce genre d’enquête, que j’avais pu faire sur le peintre Paul Carpentier.
Comme je suis passionnée de généalogie, mon enquête commence logiquement par une inspection des archives d’Etat civil en ligne afin d’en savoir plus sur le patronyme Géo-Rémy et de retrouver ses dates et lieux de naissance et de mort. Grâce à Geneanet, où se trouve une photo de la sépulture de ses parents à Nantes, je trouve assez vite que son vrai patronyme est « Rémy » et que son père était également artiste peintre. C’est en fouillant les tables décennales de l’Etat civil de Nantes que je retrouve son acte de décès à Nantes le 26 décembre 1924. Il est mentionné son métier de professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Nantes. A partir de là, je déroule le fil pour retrouver quelques peintures mais surtout des informations importantes sur sa carrière d’artiste et de professeur de dessin, en épluchant les journaux d’époque sur Gallica et Retronews. Cela me permet de tracer aujourd’hui un portrait assez complet de Virginie Géo-Rémy que j’ai le plaisir de vous partager.
Une portraitiste et pastelliste talentueuse
Virginie Géo-Rémy, de son vraie nom Virginie Catherine Annie Rémy nait à Paris le 23 août 1846. Elle est la fille de Georges Rémy, artiste-peintre sous le nom de Géo-Rémy, et de Virginia Frances Pongérard. Elle grandit dans une famille d’artistes et d’intellectuels originaux, entre un grand-père musicien, un père peintre et une mère linguiste. Née à Londres, de mère anglaise, Virginia Pongérard était polyglotte (une gazette rapporte qu’elle parlait couramment 14 langues – est-ce possible?) et enseigna les langues vivantes pendant plusieurs années à Nantes.
Virginie prend ses premiers leçons de dessin auprès de son père, qui eut quelques succès comme pastelliste et fusiniste (maître dans la technique du fusain). Celui-ci meurt brutalement en 1871 à l’âge de 46 ans à Nantes où la famille s’est installée après 1860. Le frère de Virginie, prénommé Géo (Géo Rémy, donc!), a seulement 11 ans lors de ce drame. Dans une fiction publié dans un journal local, « Un revenant », il semble s’inspirer de cet événement et écrit : « (ma soeur) songea à épouser un jeune homme qui était l’ennemi juré de mon père et qui avait fait échouer sa candidature aux dernières élections. » Le rival évoqué dans cette nouvelle a-t-il existé ? Quoiqu’il en soit, Virginie Géo-Rémy est restée célibataire, partageant son domicile avec sa mère puis avec sa fidèle servante Jeanne Leroux.
Virginie a également suivi les enseignements de Jules-Elie Delaunay (1828-1891) et de Charles Chaplin (1825-1891). Jules-Elie Delaunay est Nantais, il est possible qu’il ait enseigné à quelques élèves avant son élection à l’Académie des Beaux-Arts en 1879. Quant à Charles Chaplin, il a ouvert en 1866 au-dessus de son domicile parisien du 23 rue de Lisbonne un atelier pour femmes qu’ont fréquenté Mary Cassatt (1844-1926), Madeleine Lemaire (1845-1928), Eva Gonzalès (1849-1883) ou encore Louise Abbéma (1853-1927). Cela n’est donc guère étonnant qu’elle ait complété son apprentissage à ses côtés.
Les premières participations à des expositions de Virginie Géo-Rémy datent d’après le décès de son père. En 1873, elle expose à Nantes un Intérieur breton, en 1875 à Nantes et Rennes, Une tête de jeune fille. Il semble que son travail est remarqué car elle obtient en 1876 une commande pour l’hôpital militaire de Bayonne : une copie de La Charité par Andrea del Sarto. Pendant 30 ans, elle expose régulièrement ses oeuvres, principalement dans des expositions d’artistes nantais, mais également à Angers, Tours, Vannes, Brest ou Le Havre et obtient quelques succès : une 3e médaille de peinture à l’exposition de Tours en 1881 et 1892 et à l’exposition de Rennes en 1886, une médaille de vermeil à l’exposition de Nantes de 1904. La ville de Brest acquiert deux de ses oeuvres : La Pie voleuse en 1883 et un Portrait du général d’Ajot en 1892. C’est en peintre déjà expérimentée qu’elle participe à deux reprises au Salon des artistes français : en 1882 avec le Portrait de Mme D. et en 1889 avec le Portrait de Mme G.R. (probablement le portrait de sa mère aujourd’hui conservé au musée des arts de Nantes).
En parallèle des expositions officielles, elle expose régulièrement dans des galeries nantaises : rue Crébillon et rue du Calvaire, dans la galerie Préaubert, non seulement des peintures et pastels, mais également de la barbotine (vases) et de la peinture sur soie. A Nantes, elle semble disposer d’une certaine renommée et réalise les portraits de personnalités locales, comme les maires Charles Lechat (1825-1894 et Paul-Emile Sarradin (1825-1909), mais aussi ceux d’ecclésiastiques (le cardinal Guilbert, archevêque de Paris) ou d’aristocrates (le comte Daru et Napoléon Magne). En plus des portraits et scènes de genre, on notera aussi dans son oeuvre des sujets qui semblent presque symbolistes comme Rêverie, un pastel exposé en 1907, sur lequel elle ajoute deux vers : « Enlève-toi mon rêve, emprunte à l’hirondelle cet essor qui franchit la terre d’un coup d’aile. »
Sa production semble se tarir à partir de 1904, date à laquelle elle consacre la majeure partie de son temps à l’enseignement.
Une enseignante respectée
Comme en témoignent les annonces publiées dans le journal local « Le Phare de la Loire », Virginie Géo-Rémy donne des leçons de dessin et de peinture à partir de 1874. Elle reçoit d’abord ses élèves au domicile familial à Nantes, 2 rue Basse du Château (actuelle rue du Château), où sa mère donne également des leçons de langues vivantes, puis dans des ateliers en centre-ville : 2 place Du Moutier puis maison Lefaguays à proximité de l’Hôtel de Ville. En plus de leçons classiques de dessin et peinture, elle enseigne également la peinture sur soie et la barbotine aux dames et demoiselles. Les jeunes garçons sont accueillis le jeudi. En 1898, elle reçoit la distinction d’officier d’académie (ordre des Palmes académiques).
Cette reconnaissance de son travail de professeur participe très probablement à sa nomination comme professeur de dessin à l’école régionale des Beaux-Arts de Nantes, ouverte en 1904 sous la direction d’Emmanuel Fougerat (1869-1958). Elle y enseigne aux jeunes filles la perspective à vue, la bosse, la tête et l’ornement. Elle continue en parallèle ses cours particuliers au 9 place de l’Hôtel de Ville puis au 9 rue de Briord au moins jusqu’en 1914. En 1909, elle est nommée officier de l’instruction publique et est fêtée par ses élèves qui lui offrent « des palmes d’or avec brillants et une superbe gerbe de fleurs ». Pour des raisons de santé, elle quitte ses fonctions à l’école des Beaux-Arts de Nantes en 1923 et s’éteint un an plus tard, au lendemain de Noël, à l’âge de 78 ans.
Virginie Géo-Rémy y enseignera le dessin jusqu’à l’âge de 77 ans.
Qu’est-il advenu des oeuvres de Virginie Géo-Rémy ? Pourquoi cette artiste dont le talent semblait si apprécié par la ville de Nantes a-t-elle été complètement oubliée ? Sans descendance, c’est son frère Géo Rémy (1860-1929) qui hérite de ses biens. Lui-même n’ayant pas d’enfants, les oeuvres de l’artiste sont probablement dispersées à la mort de sa veuve Mme Géo-Rémy vers 1945. C’est ainsi par un don de la famille que deux peintures atterrissent au musée d’arts de Nantes : Le Portrait de la mère de l’artiste, en 1926 et un portrait d’homme daté de 1890. Quelques oeuvres qui présentent bien la signature de l’artiste, sont apparues sur le marché de l’art : un portrait d’enfant (1887), un portrait de jeune fille au pastel (1874), de jeunes pêcheuses (1884). Certaines sont probablement de son père et attribuées à tort à Virginie Géo-Rémy, la seule de la famille à disposer d’une entrée – certes peu fournie – dans le prestigieux dictionnaire des artistes, le « Benezit ». Il est fort à parier que d’autres peintures seront retrouvées dans les réserves des musées bretons ou dans les greniers de familles nantaises. Je ne manquerai pas de vous raconter la suite de l’histoire ici car j’ai lancé aussi moi-même quelques bouteilles à la mer…
M.D.
P.S : j’ai volontairement omis la plupart des sources afin de rendre plus fluide la lecture de cet article. Une grande partie des sources sont citées dans l’article Wikipedia que j’ai rédigé et que je mets régulièrement à jour.
4 Commentaires
CLAIRE D.
28/09/2021 at 8:15Passionnant ! Merci beaucoup pour cette enquête, j’ai adoré. D’abord sur IG et ensuite la conclusion complète ici. Merci pour ce bon moment !
Mealin
28/09/2021 at 11:32Merci de contribuer à lever le mystère sur tant de petits maîtres au masculin comme au féminin 🙂
wiehn
21/12/2021 at 7:58Remarquable .Si tous les peintres pouvaient avoir de telles biographes!
François W.
Sylviane
09/04/2022 at 4:28Bravo et merci pour cette enquête détaillée. J’ai découvert votre site, via instagram, en suivant Margaux Brugvin. J’en suis ravie !