Après une première étape au Palais Lumière d’Evian (du 2 juillet au 2 octobre 2016), la rétrospective consacrée à Albert Besnard (1849-1934) vient d’ouvrir ses portes au Petit Palais. Jusqu’au 29 janvier 2017, les Parisiens pourront ainsi admirer toute la richesse de l’oeuvre de ce grand artiste oublié dans un lieu emblématique de la Belle Epoque, dont il décora la coupole du vestibule en 1910. Dans une ambiance très « Art Nouveau », près de deux-cent oeuvres, peintures, pastels et gravures, donnent un assez bon aperçu de la carrière et du talent de Besnard, que l’association Le Temps d’Albert Besnard cherche à faire connaître depuis une quinzaine d’années.
Albert Besnard, peintre, pastelliste et graveur
Couvert d’honneurs par les gouvernements successifs de la Troisième République (lauréat du Prix de Rome, membre de l’Académie des Beaux-Arts et de l’Académie française, directeur de la Villa Médicis et de l’Ecole des Beaux-Arts, Grande Croix de la Légion d’honneur), le peintre Albert Besnard étiqueté comme « académique » fut victime de son succès et tomba rapidement dans l’oubli après sa mort en 1934. L’exposition du Petit Palais s’attache à montrer que le peintre a été trop rapidement jugé en mettant en avant les aspects les plus modernes de son oeuvre. Le parcours présente les différents facettes de son travail : Besnard se révèle à la fois comme portraitiste mondain, symboliste tardif, coloriste tenté par l’orientalisme et grand décorateur, dans un style personnel influencé par le symbolisme. C’est un artiste que se renouvelle sans cesse.
A la fois chronologique et thématique, l’exposition évoque en préambule la formation de Besnard à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris sous la direction de Jean-François Brémond (1807-1868) puis d’Alexandre Cabanel. Retrouvé dans une collection privée, La Procession des bienfaiteurs et des pasteurs de l’église de Vauhallan depuis son origine jusqu’à la Révolution de 1793, exposé au Salon de 1870, est un des rares témoignages de cette époque d’apprentissage. Reprenant un projet de peinture murale abandonné par un certain Jean Mezzara en 1860, Besnard, s’inspirant des artistes du Quattrocento, nous montre une galerie de portraits contemporains, où sont représentés ses proches comme les peintres Henri Lerolle et Jean-Louis Forain ou l’architecte Vaudoyer. L’auteur lui-même s’est représenté sur les deux panneaux. Ce projet ambitieux le fait remarquer au Salon, mais c’est avec un tout autre sujet qu’il remporte une médaille de troisième classe au Salon de 1874 : le Portrait de Jeanne Gorges, empreint de douceur et de délicatesse. La même année, il obtient le Premier Prix de Rome avec son seul sujet antique connu, La Mort de Timophane. Dès sa jeunesse, l’artiste fait preuve d’une grande indépendance dans le choix de ses sujets et se range du côté des modernistes en abandonnant la stricte hiérarchie des genres.
Parti parachever sa formation à Rome, Albert Besnard y fait une rencontre décisive : celle de sa future épouse, Charlotte Dubray (1854-1931), sculptrice de talent, avec laquelle il aura quatre enfants. Celle-ci a une influence positive sur son oeuvre. La suivant à Londres où elle doit exécuter des commandes, il y fait de nouvelles expériences, éclaircit sa palette au contact de la peinture préraphaélite et s’essaie à la technique de l’eau-forte grâce à son ami le graveur Alphonse Legros. Charlotte Dubray et ses enfants sont aussi les premiers modèles de l’artiste qui réalise de nombreux portraits dans les années 1880 (Portrait de famille, 1890, Musée d’Orsay). Son portrait le plus célèbre est celui de Madame Roger Jourdain, qui fait scandale au Salon de 1886 en raison de ses contrastes colorés jugés trop violents.
Cette palette vive, particulièrement reconnaissable, qui mêle les oranges les plus lumineux à des bleus polaires, n’est pas sans rappeler celle d’un autre peintre de la Belle Epoque, Gaston La Touche. Comme celui-ci, Besnard exécute plusieurs importantes commandes publiques, en particulier à Paris l’École de Pharmacie, l’Hôtel de Ville, l’amphithéâtre de chimie de la Sorbonne, la Comédie-Française ou encore le musée du Petit Palais. Les esquisses de ces commandes mais aussi de ses participations à des concours, présentées ici, reflètent les goûts de l’époque pour des représentations mettant en valeur les piliers de la République. Ces grandes commandes participent à sa réputation en France et à l’étranger, notamment aux Etats-Unis.
C’est dans les pastels que l’on retrouve ses recherches colorées les plus audacieuses. Exposant dès 1885 à la Société des pastellistes français, Albert Besnard participe à la réhabilitation de cette technique du XVIIIème siècle. Il représente surtout des femmes, vues souvent de dos ou de profil, songeuses et mystérieuses. Dans ses séries de gravures à l’eau-forte, la femme est représentée de façon beaucoup plus pessimiste, dans une atmosphère angoissante qui n’est pas sans rappeler Goya. Féérie intime, peinte en 1901, fait la synthèse entre ses peintures et ses gravures, en exprimant à la fois la beauté triomphante du corps de la femme et sa part d’ombre.
L’exposition se termine par un aspect très méconnu de l’oeuvre d’Albert Besnard, ses peintures orientalistes, qui ne sont pas, selon moi, à mettre au même niveau que ses autres réalisations. Exposant du Salon de la Société des peintres orientalistes, l’artiste voyage en Espagne et au Maroc en 1891, en Algérie en 1893-1894 puis en Inde en 1910, où il s’imprègne des couleurs intenses du pays.
Un hommage en demie-teinte ?
Réalisée par le studio Tovar, la scénographie de l’exposition est très présente. Elle plonge le visiteur dans une ambiance fin-de-siècle grâce à des motifs répétés sur les peintures et tapis inspirés de William Morris. S’inspirant des écrits du peintre sur les pulsations vitales de la couleur, le choix s’est porté sur des couleurs fortes : le rouge, le vert, le bleu, le violet qui permettent d’identifier clairement les différentes étapes du parcours de visite. Bien que ces papiers peints fonctionnent bien avec les gravures du maître, une scénographie plus sobre aurait peut-être mieux fait honneur aux toiles déjà très colorées de Besnard.
Nous ne pouvons que nous réjouir qu’une institution importante comme le Petit Palais prenne le risque de consacrer une exposition à un artiste quasi-inconnu dans un contexte culturel parisien ultra-concurrentiel. Avec Carl Larsson, Jean-Louis Forain, ou plus récemment Georges Desvallières, le musée nous a d’ailleurs habitués à ce genre de redécouvertes. Il me semble que Besnard aurait cependant mérité un hommage moins discret dans ce lieu où il a fortement laissé sa marque. Relayé au sous-sol de l’établissement, l’oeuvre d’Albert Besnard semble à l’étroit dans les quelques salles qui lui sont consacrées. Les peintures et gravures sortent d’ailleurs de l’espace d’exposition à proprement parler pour investir, sans explications, les salles attenantes.
Dans ces espaces contraints, le travail de décorateur de Besnard, pourtant essentiel pour comprendre l’artiste, me semble insuffisamment abordé. C’est pourtant une peinture monumentale, exécutée pour le plafond de l’Hôtel de Ville, qui sert d’affiche pour l’exposition. Nous aurions aimé voir par exemple, à côté des esquisses des collections du Petit Palais exceptionnellement sorties de leur réserve, des images des décors finalement réalisés dans les monuments publics parisiens. Rien non plus n’indique au visiteur qu’il peut aller admirer le grand décor réalisé par l’artiste dans le hall d’entrée du musée. Il est pourtant représenté en gros plans sur l’une des dalles du plafond lumineux du hall Girault. C’est dommage de ne pas avoir saisi cette opportunité pour faire découvrir tous les aspects de l’art d’Albert Besnard. Pour compléter utilement cette visite, qui vaut assurément le détour, j’encourage donc les plus curieux à la visite des monuments qu’il a décorés à Paris.
La lecture du catalogue de l’exposition coédition par le Palais Lumière, Evian et Somogy éditions d’Art se révèle également passionnante. A côté des quelques cent-cinquante notices d’oeuvres, cinq essais, qui rendent compte des dernières recherches sur l’oeuvre de Besnard, permettent de mieux comprendre le peintre indépendant et inclassable qu’il fut. Ils abordent sa modernité, sa carrière officielle, l’image de la femme et la part d’ombre de l’artiste graveur. Le dernier article se penche sur les liens entre Besnard et la Haute-Savoie, qui fut son lieu de villégiature et où il a réalisé des décors pour le baron Vitta dans sa résidence de la Sapinière, non loin du Palais Lumière à l’origine de cette rétrospective.
M.D.
Albert Besnard – MODERNITÉS BELLE ÉPOQUE
Du 25 octobre 2016 au 29 janvier 2017
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Catalogue de l’exposition :
Collectif, Albert Besnard (1849-1934). Modernités Belle Epoque, Palais Lumière / Petit Palais / Somogy, 2016, 304 p., 39 €. ISBN : 9782757210895
Plus de renseignements :
Association Le Temps d’Albert Besnard
Albert Besnard dans les collections des musées de la Ville de Paris
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