Les Français connaissent mal la peinture britannique du XIXème siècle. Les peintres britanniques sont d’ailleurs assez mal représentés dans les collections nationales, malgré des acquisitions récentes (en attendant l’ouverture de salles dédiés au Louvre, on peut voir au musée des Beaux-Arts de Quimper du 23 octobre 2014 au 26 janvier 2015 une exposition intitulée De Gainsborough à Turner. L’âge d’or du paysage et du portrait anglais dans les collections du musée du Louvre). Comme l’illustre le titre de cette exposition, notre connaissance se limite souvent en effet aux portraitistes Thomas Gainsborough (1727-1788), Joshua Reynolds (1723-1792) et Thomas Lawrence (1769-1830) et aux paysagistes John Constable (1776-1837) et William Turner (1775-1851). Ces deux derniers font actuellement parler d’eux : le premier grâce à une très belle exposition au Victoria & Albert Museum à Londres qui met en lumière ses inspirations et son travail sur le motif, le second avec le film « Mr. Turner » présenté au festival de Cannes 2014 qui vient de sortir sur nos écrans.
En plus de nous faire découvrir la personnalité de William Turner, le film de Mike Leigh nous permet également d’avoir une vision globale de la peinture britannique du milieu du XIXème siècle. Turner croise en effet ses contemporains, qu’il fréquente notamment lors de soirées mondaines ou autour d’un thé chez le critique d’art John Ruskin (1819-1900). Mais une des scènes les plus réussies du film est celle des préparatifs de l’exposition de 1832 de la Royal Academy of Arts (RAA). Depuis le XVIIIème siècle, la Royal Academy of Arts représentait pour les Britanniques ce que l’Académie des Beaux-Arts était aux Français jusqu’en 1881. Elle était l’organisatrice de l’unique exposition officielle des artistes contemporains. C’était donc l’endroit où il fallait être vu pour espérer se faire remarquer par les critiques et les collectionneurs. Comme il était d’usage au XIXème siècle, les peintures occupaient toute la surface des murs. On peut en avoir un bon aperçu dans cet extrait de « Mr. Turner » :
Dans cette scène, Turner – Timothy Spall salue les membres de l’Académie : Sir William Beechey (1753-1839) – Fred Pearson, Sir Augustus Wall Callcott (1779-1844) – Simon Chandler, Sir Charles Lock Eastlake (1793-1865) – Robert Portal, George Jones (1786-1869) – Richard Bremmer, Charles Robert Leslie (1794-1859) – Tom Edden, Henry Pickersgill (1782-1875) – Roger Ashton-Griffiths, Thomas Stothard (1755-1834) – Edward de Souza, Sir Martin Archer Shee (1769-1850) – Clive Francis et Sir John Soane (1753-1837) – Nicholas Jones . Et les autres artistes exposants : John Carew (1785-1868) -Niall Buggy, David Roberts (1796-1864) – Jamie Thomas King et Clarkson Stanfield (1793-1867)– Mark Stanley.
Pour reconstituer ce décor le plus fidèlement possible, cette scène a nécessité la participation d’une consultante – chercheuse en histoire de l’art (Jacqueline Riding). Dans une interview accordée au magazine en ligne de la maison de vente Christie’s, la chef décorateur du film Suzie Davies raconte que la reconstitution s’est voulue la plus fidèle possible, en se basant sur le catalogue de l’exposition de 1832. Il a fallu ensuite rechercher les quelques 250 peintures et retrouver où elles étaient disposées dans les différentes pièces de l’institution. Les reproductions des peintures ont été imprimées sur différents types de surfaces avant d’être recouvertes d’une couche de vernis pour paraître plus réelles.
Souhaitant en savoir plus sur les peintures exposées, je me suis moi-même livrée à un petit exercice afin d’identifier quelques unes des peintures reproduites pour cette scène, à partir de cette photographie issue du film :
Sans remettre en cause l’important travail de recherche réalisé, on s’aperçoit que les oeuvres sont représentatives du style et des artistes exposés en 1832, mais que toutes n’ont pas été réalisées en 1832.
On distingue par exemple :
– derrière Turner, trois peintures animalières d’Edwin Landseer (1802-1873) : de haut en bas, Favourites, the Properties of H.R.H. Prince George of Cambridge (1834-1835, Yale Center for British Art), The Cavalier’s Pets (1845, Tate Britain) et The Faithful Hound (1830, coll. privée).
– juste au-dessus, un paysage de ruines The Tranquil Lake: Sunset Seen through a Ruined Abbey (c.1825–30, Tate Britain) attribué à James Johnson (1803-1834)
– sur la gauche, une étude de nu féminin d’Edward Calvert (1799-1883) (1830-1850, Tate Britain)
– à l’extrémité gauche, Charles Robert Leslie finit de peindre The Grosvenor Family (collection privée). L’autre peintre, le pinceau levé, est David Roberts qui pose la dernière touche à une peinture orientaliste que je n’ai pas pu identifier.
Si on regarde de près le catalogue de l’exposition, on s’aperçoit qu’aucune de ses oeuvres n’a réellement été présentée en 1832. Qu’importe, puisque l’effet est plutôt réussi et nous permet de nous immerger dans l’ambiance de la période victorienne.
On a récemment annoncé le tournage du film Inséparables, le nouveau long métrage de Danièle Thompson, qui met en scène l’amitié entre Paul Cézanne et Emile Zola. Y verra-t-on une reconstitution de la première exposition des impressionnistes chez Nadar en 1874 ? Le film « Mr. Turner », où une attention particulière a été portée aux costumes et aux décors, a mis la barre haute.
M.D.
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