Oeuvres à la une

Un vendredi au Salon des Artistes Français

28/08/2016

Dans le cadre du parcours de l’exposition Manet, Renoir, Monet, Morisot… Scènes de la vie impressionniste (jusqu’au 26 septembre 2016), le musée des Beaux-Arts de Rouen a remis en valeur une peinture de ses collections, témoignage unique de la société parisienne de la Belle Epoque. Cette toile de très grandes dimensions (362 par 617 cm), intitulée Un vendredi au Salon des Artistes Français, est l’oeuvre de Jules-Alexandre Grün (1868-1938), plus connu pour ses caricatures et affiches dont on peut voir actuellement quelques exemples au Musée des Arts Décoratifs dans l’exposition De la caricature à l’affiche 1850-1918 (jusqu’au 5 septembre 2016).

Bien qu’il soit un fidèle du Salon des artistes français auquel il envoie un ou plusieurs tableaux depuis 1886, le choix de Jules Grün pour réaliser l’hommage des trente ans du Salon officiel en 1911 est étonnant. Formé auprès de Jean-Baptiste Lavastre, peintre-décorateur de l’Opéra de Paris, et du peintre paysagiste Antoine Guillemet, l’heureux destinataire de cette commande n’est ni ancien élève des Beaux-Arts, ni Prix de Rome et n’a jamais peint de tableaux d’une telle importance. La décision en revient au sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, Etienne Dujardin-Beaumetz, qui avait certainement été séduit par les précédents envois de Grün au Salon, notamment L’Antiquaire (1903, Musée des Beaux-Arts d’Agen) qui lui vaut en 1903 une médaille de deuxième classe et une nomination comme membre du jury.

Enthousiasmé par cette commande, Grün se met à la tâche dès 1909 et réalise une incroyable série de portraits des personnalités de l’époque mise en scène dans le jardin des sculptures du Salon de 1909. Une photographie du jardin de la sculpture du Grand Palais le jour du vernissage du Salon de 1905, parue dans l’Illustration, lui donne l’atmosphère générale de son oeuvre. Il se donne quelques libertés en mélangeant trois oeuvres du Salon de 1909 (François-Raoul Larche, Sève ; Jean-Lucien Tisné, Tout en fleurs ; François-Raoul Larche, Monument à Corot) avec deux sculptures du Salon de 1910 (Paul Landowski, Monument aux artistes dont le nom s’est perdu ; Auguste Maillard, Mlle Gilda Darthy – comédienne). Dans l’ambiance fourmillante du vernissage du Salon, les invités se pressent autour des sculptures formant de petits groupes. Parmi les hommes aux costumes sombres, les toilettes claires et lumineuses des femmes, dont plusieurs sont assises, attirent l’attention. A l’arrière-plan, les invités, silhouettes descendant les marches des escaliers en fer, continuent à affluer.

Si la peinture est exécutée avec une touche synthétique et large, Jules Grün s’est attaché à représenter le visage de ses modèles avec une grande précision. Comme saisis sur le vif, chacun dans une attitude et avec une expression différentes, les visiteurs du Salon donnent beaucoup de vie à la scène. Parmi ceux-ci, cent quatre personnalités de la Belle Epoque ont été identifiées : artistes, journalistes, hommes politiques, hauts fonctionnaires, comédiennes… tous ont posé pour figurer dans cet hommage au Salon. Comme le disait Grün lui-même : « Ne pas y figurer fut un peu comme être exclu du Bottin Mondain ». En écho à la sculpture de Landowski, Monument aux artistes dont le nom s’est perdu, le peintre laisse un témoignage inestimable sur ceux qui étaient les artistes du salon officiel – qu’on appela plus tard « pompiers » – les plus en vue au début du siècle. Jules Grün s’est représenté lui-même au centre du tableau, devant la statue hommage à Corot, derrière son épouse, Juliette, vêtue d’une tenue violette aux reflets bleutés.

Jules Grün, Un vendredi au Salon des Artistes Français,

Jules Grün, Un vendredi au Salon des Artistes Français, huile sur toile, 362*617, 1911, Musée des Beaux-Arts de Rouen

Qui sont les autres peintres représentés ? De gauche à droite, on trouve :

  1. Ferdinand Humbert (1842-1934)
  2. Julien Gustave Gagliardini (1846-1927)
  3. Denis Etcheverry (1867-1952)
  4. Louis-Henri Foreau (1866-1938)
  5. Ferdinand Roybet (1840-1920)
  6. François Flameng (1856-1923)
  7. Fernand Pelez (1843-1913)
  8. Diogène Maillart (1840-1914)
  9. Clémentine-Hélène Dufau (1869-1937)
  10. Paul-Albert Laurens (1870-1934)
  11. Louise Abbéma (1853-1927)
  12. Jean-Paul Laurens (1838-1921)
  13. Henri Martin (1860-1943)
  14. Luc-Olivier Merson (1846-1920)
  15. Fernand Cormon (1845-1924)
  16. Léon Bonnat (1833-1922)
  17. Virginie Demont-Breton (1859-1935)
  18. Adrien Demont (1851-1928)
  19. Georges Rochegrosse (1859-1938)
  20. Marcel Baschet (1862-1941)
  21. Gabriel Ferrier (1847-1914)
  22. Henri Harpignies (1819-1916)
  23. Antoine Guillemet (1841-1918)
  24. Charles Léandre (1862-1934)
  25. Edouard Detaille (1848-1912)
  26. Paul Chabas (1869-1937)
  27. Jules Chéret (1836-1932)
  28. Paul Gervais (1859-1936)
  29. Jules Adler (1865-1952)
  30. Tony Robert-Fleury (1837-1911)
  31. Aimé Morot (1850-1913)

À sa présentation au Salon de 1911, la peinture de Grün est un immense succès qui lui vaut d’être nommé Chevalier de la Légion d’honneur et lui attire de nombreuses commandes de portraits mondains, le laissant à l’abri financièrement. Exposé à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts puis déposé au Musée du Luxembourg, le tableau est transféré au musée des Beaux-Arts de Rouen en 1932 d’où il ne bouge quasiment pas, étant données ses dimensions. Il acquiert néanmoins une certaine notoriété grâce aux reproductions dans les ouvrages qui évoquent les salons de la Belle Epoque. Fait amusant : en 1912, Henri-Adolphe Lassement (1854-1921) rend hommage à Grün en exposant Au Salon des artistes français de 1911 : cette fois, le public est réuni autour de la toile de Grün.

Cet impressionnant tableau reste le chef d’oeuvre de Grün qui représente par la suite à nouveau des groupes d’artistes (Fin de souper, 1913 et Un groupe d’artistes, 1929), mais plus d’oeuvres d’une telle importance. Atteint de la maladie de Parkinson, le peintre est contraint d’arrêter son activité dans les années 1930 et meurt dans son domicile de Neuilly-sur-Seine. Restées dans sa famille, la plupart de ses oeuvres sont dispersées lors de la vente de la succession en 1986.

M.D.

Source : Benoît Noël, Véronique Herbaut, Jules Grün, Trublion de Montmartre, seigneur du Breuil-en-Auge, BVR Editions, 2012

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