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L’impressionnisme au féminin : deux expositions en Normandie

06/08/2016

Dans le cadre de l’édition 2016 du festival Normandie impressionniste, deux musées de l’Eure ont choisi de décliner le thème « Portraits impressionnistes » au féminin. Ainsi, tandis que le musée de Vernon expose des oeuvres de femmes artistes, le musée des Beaux-Arts de Bernay présente une série de portraits de lectrices. Ces deux expositions complémentaires permettent d’apprécier des peintures pleines de délicatesse, révélant un autre aspect du mouvement impressionniste. A l’affiche pendant tout l’été, elles s’accompagnent chacune d’une publication richement illustrée parue aux éditions Point de vue.

Portraits de femmes par des femmes

Confirmant l’intérêt croissant pour les études de genre en histoire de l’art, l’exposition du musée de Vernon met en lumière des femmes artistes de la fin du XIXème siècle, souvent restées dans l’ombre des figures masculines phares du mouvement impressionniste. On connait Berthe Morisot et Mary Cassatt, mais qui sont ces autres femmes travaillant dans le sillage des grands maîtres ? Quelle fut leur pratique artistique et comment ont-elles abordé l’art du portrait ? Ces questions sont développées de façon très claire autour d’une quarantaine d’oeuvres organisées en quatre grandes thématiques : Femmes, artistes et impressionnistes, Les lieux de formation, Extérieurs et L’art du portrait.

Grâce à une scénographie colorée qui met en valeur les oeuvres tout en replongeant le visiteur dans l’ambiance d’atelier de l’époque, cette petite exposition ne manque pas de charme. Elle permet de bien resituer le contexte dans lequel ont évolué ces artistes qui, en tant que femmes, ont connu des difficultés à être formées et reconnues. La misogynie de l’époque est rappelée par des citations d’écrivains reproduites sur de grands panneaux ; parmi elles le mot de Gustave Flaubert : « Femme artiste : ne peut être qu’une catin. » C’est un peu violent, mais cela résume assez bien les mentalités de la seconde moitié du XIXème siècle.

Sita et Sarita ou Jeune fille au chat

Cécilia Beaux (1855-1942), Sita et Sarita ou Jeune fille au chat, 1893-94, Musée d’Orsay

Elle nous fait découvrir des oeuvres alliant qualité technique et sensibilité, à commencer par la peinture choisie comme affiche de l’exposition, Sita et Sarita ou Jeune fille au chat (1893-94, Musée d’Orsay) par l’Américaine Cécilia Beaux (1855-1942), qui a quelque chose de vraiment captivant. Notre regard est d’abord absorbé par le tissu blanc de la robe du modèle avant de réaliser la présence du chat noir aux yeux perçants posé sur son épaule. La présence de l’animal, ainsi que le titre du tableau, font référence à Edouard Manet, dont l’artiste admirait le travail.

Les deux Louise : une révélation

A côté des artistes liées aux impressionnistes, comme Berthe Morisot (1841-1895) – dont on pourra admirer deux portraits prêtés par le musée d’Orsay – Blanche Hoschédé-Monet (1865-1947), Mary Cassatt (1844-1926) et Marie Bracquemond (1840-1916), deux peintres se détachent véritablement de leurs consoeurs selon moi : il s’agit de Louise Abbéma et de Louise Breslau.

Formée dans les ateliers pour femmes de Jean-Jacques Henner et Carolus-Duran, Louise Abbéma (1853-1927) se spécialise dans l’art du portrait. Sa rencontre avec l’actrice Sarah Bernhardt en 1871 est déterminante dans sa carrière; elle lui permet notamment de fréquenter les milieux mondains. Jusqu’à la mort de la comédienne devenue une amie proche, Abbéma réalise plusieurs portrait de Sarah Bernhardt comme celui dans le rôle d’Adrienne Lecouvreur (1884-1887). Le grand portrait en pied réalisé en extérieur intitulé Dans les fleurs (1892, Musée intercommunal d’Etampes) montre à quel point l’artiste maîtrisait son art, allant bien au-delà du petit portrait réalisé dans l’intimé, genre dans lequel on cantonnait les femmes.

Louise Abbéma, Dans les fleurs

Louise Abbéma, Dans les fleurs, 1892, Musée intercommunal d’Etampes

Autre femme indépendante, Louise Breslau (1856-1927), originaire de Suisse, eut beaucoup de succès en tant que portraitiste à Paris. Couverte de récompenses, elle est par exemple la première étrangère à recevoir la Légion d’honneur en 1901. Les trois tableaux exposés à Vernon retracent les différentes étapes de sa carrière et de sa vie. Chez soi (1885), aux couleurs sombres, est un portrait intime de la mère et de la soeur de l’artiste, à une période où elle cherche à échapper à la solitude de sa vie parisienne. Le tableau de grande dimension Gamines (1893), qui représente deux jeunes filles allongées dans un sous-bois, marque l’apogée de l’artiste pour la peinture d’extérieur qui éclaircit sa palette au contact des impressionnistes. Enfin, son dernier autoportrait, L’artiste et son modèle, la plonge dans une réflexion sur l’identité artistique.

Louise Breslau, Gamines

Louise Breslau, Gamines, 1893, Bibliothèque-musée Inguimbertine de Carpentras

C’est d’ailleurs sur les autoportraits, moyen de revendiquer un statut d’artiste, que se clôt cette exposition malheureusement trop courte. C’est au musée des Beaux-Arts de Bernay que se continue la réflexion sur la femme au XIXème siècle, cette fois non plus en tant qu’artiste mais en tant que modèle.

Portraits de lectrices : de la femme vertueuse à la femme dangereuse

Alors que le musée de Vernon présente une palette assez large de portraits féminins – cousant, peignant, s’occupant d’enfants – le musée des Beaux-Arts de Bernay a choisi de réfléchir à la représentation de la femme lectrice, d’Emma Bovary à Marie-Claire, soit sur la période de 1856 à 1937. Ce cadre chronologique correspond à un bouleversement à la fois dans l’art et dans la place de la femme dans la société (la loi Sée de 1880 ouvre le droit aux filles d’entrer au collège et au lycée). Ce thème souvent traité par les artistes, comme le montrait déjà l’ouvrage de Laure Adler Les femmes qui lisent sont dangereuses, est bien représenté dans les collections du musée de Bernay, avec une dizaine d’oeuvres, entourées par des prêts d’autres musées français.

Divisée en six parties, l’exposition montre comment les artistes se sont emparés de ce thème et en quoi ces représentations de la femme lectrice correspondent à un vrai changement de société. Sont ainsi abordées les questions de l’image, de l’éducation des jeunes filles, de l’ouverture sur l’imaginaire, sur le monde ou sur l’autre, et de la maîtrise de l’écriture. Cette réflexion est plus poussée dans la publication qui accompagne l’exposition, avec notamment un article entièrement consacré à la représentation d’Emma Bovary, l’héroïne de Gustave Flaubert.

Qui sont donc ces femmes lectrices que nous présente le musée de Bernay ? De la femme pieuse tenant une Bible dans sa main d’Henri Scheffer (Femme en prière, vers 1864, musée des Beaux-Arts de Rouen), à la lectrice matinale du journal d’Archibald Abraham Anderson (Le matin après le bal, chromotypographie, 1891, coll. particulière), les mentalités ont évolué. Ce sont aussi les supports de lecture qui changent : d’abord vecteur d’éducation, la lecture devient aussi propice à la rêverie grâce au roman tandis que la diffusion de la presse permet aux femmes de débattre d’actualité avec les hommes sur un pied d’égalité (James Tissot, Le journal, eau-forte, 1883, musée des Beaux-Arts de Nantes).

Cette activité est loin d’être passive dans les échanges épistolaires qui voient les femmes devenir aussi écrivaines, comme dans le superbe pastel de Charles Léandre intitulé L’atelier de l’artiste (1885-90, musée municipal, Vire). La maîtrise de l’écriture va leur ouvrir de nouvelles perspectives, leur permettant d’occuper des emplois traditionnellement réservés aux hommes, et symboliser leur émancipation.

Angèle Blanche Denvil, La lecture, Huile sur toile, 1912, Coll. particulière, D.R.

Angèle Blanche Denvil, La lecture, Huile sur toile, 1912, Coll. particulière, D.R.

Plusieurs oeuvres exposées auraient pu être intégrées au parcours du musée de Vernon puisque les femmes artistes sont également bien représentées. Nous retiendrons en particulier les noms d’Angèle Blanche Denvil (1874-1934), de Maximilienne Guyon (1868-1903) et Blanche Paymal-Amouroux (1860-1910) dont nous souhaiterions connaître plus de choses. C’est donc bien comme deux expositions complémentaires qu’il faut voir ces événements organisées dans le cadre du festival Normandie Impressionniste, qui nous donnera l’occasion de découvrir les richesses des musées de l’Eure. Pour les plus curieux, il sera possible de compléter ces découvertes par la visite de l’exposition consacrée à Jeanne Forain au musée de Pont-Audemer.

M.D.

Couverture de l'ouvrage portraits de femmes, musée de Vernon et Point de vuePortraits de femmes

Musée de Vernon

Du 2 avril au 25 septembre 2016

Judith Cernogora et Marie-Jo Bonnet, Portraits de femmes, Co-édition Point de vues et Musée de Vernon, 2016,  120 p., 20 €, ISBN : 978-2-37195-009-2

Couverture de l'ouvrage portraits de lectrices musée de Bernay

Portraits de lectrices

Musée des Beaux-Arts de Bernay

Du 16 avril au 26 septembre 2016

Sous la direction de Cédric Pannevel, « Portraits de Lectrices, d’Emma Bovary à Marie Claire », Coédition Point de vues et musée des Beaux-Arts de Bernay, 2016,  104 p., 18 €, ISBN : 978-2-37195-012-2

3 Commentaires

  • Jacq
    25/03/2018 at 3:08

    Bonjour madame, monsieur,
    je cherche des renseignements sur Berthe Le Mannié, qu’on m’a présentée comme un « petit Maître » de la fin du 19ème siècle Français.
    Je ne trouve aucune indication sur cette artiste : peut-être a-t-elle changé de nom ?
    Je serai ravi que vous puissiez me renseigner à son sujet.
    Bien cordialement,

    Philippe Jacq

  • LPM-Marion
    18/05/2018 at 11:18

    Bonjour Monsieur,
    Je ne dispose malheureusement pas d’informations sur cette artiste. Il faudrait un peu plus d’informations pour retrouver sa trace : date et lieu de naissance et de mort, exposition à des salons, style de peinture…
    Je vous souhaite une bonne continuation dans vos recherches.
    Bien cordialement,
    Marion

  • Felycie
    17/06/2018 at 9:17

    Selon un site de généalogie, « Le Mannié » n’est pas connu. Toutefois le nom « Lemannié » est originaire d’un seul village, Gondecourt dans le nord (59). Mais les individus répertoriés sur ce site n’ont pas de descendance connue à partir de la deuxième moitié du 18ème siècle…ce qui ne veut pas dire qu’ils n’existent pas! ;o)
    Une piste à suivre, peut-être?
    Bonne chasse…

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