Du 20 septembre 2016 au 29 janvier 2017, le Musée de la Vie Romantique à Paris consacre une exposition aux curiosités esthétiques de Charles Baudelaire, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de sa mort. Les œuvres présentées nous replongent dans l’atmosphère des salons des années 1840, dans lesquels Baudelaire critique d’art cherche la relève de Delacroix. Y est exposé également un portrait à l’huile du jeune poète de 23 ans, moins connu que les représentations photographiques plus tardives de l’écrivain.
Portraitiste brillant fauché en pleine jeunesse, Emile Deroy (1820-1846) doit sa postérité à son amitié avec celui qui deviendra un des plus grands écrivains de son temps. Fils du lithographe Isidore Deroy, il forme avec Théodore de Banville (1823-1891) et Charles Baudelaire une bande de trois amis inséparables. Ils s’intéressent aux mêmes sujets, comme cette petite chanteuse des rues qui se produisait dans les cafés des Champs Elysées, à laquelle Baudelaire consacre un poème dans les Fleurs du mal (A une mendiante rousse). Le portrait, rapidement brossé qu’en fait Deroy vers 1843-1845 est également exposé au Musée de la Vie Romantique (La petite mendiante rousse, Musée du Louvre). L’influence de Deroy, admirateur de Delacroix, sur la pensée esthétique de Baudelaire, est largement reconnue.
Dans son portrait peint en 1844, Baudelaire fait face au spectateur, qu’il semble interroger du regard. Comme le décrit Charles Asselineau, nous avons devant nous « un Baudelaire barbu, ultra-fashionable et voué à l’habit noir ». C’est ce dandy très chevelu (en opposition avec ses représentations plus tardives !) à la cravate blanche et aux manchettes de mousseline plissée, que l’on croisait aux alentours de l’île Saint-Louis, dans les quartiers qui étaient alors parmi les plus pauvres de Paris. Ce portrait correspond à la description que Baudelaire fait de lui-même, sous les traits de Samuel Cramer dans sa nouvelle écrite en 1847, La Fanfarlo : « Samuel a le front pur et noble, les yeux brillants comme des gouttes de café, le nez taquin et railleur, les lèvres impudentes et sensuelles, le menton carré et despote, la chevelure prétentieusement raphaélesque. »
Assis dans un fauteuil, son index droit posé sur la tempe, le poète adopte une attitude faussement désinvolte. Ses longues mains sont contractées, celle de droite semble griffer le bras du fauteuil, reflétant le caractère torturé du personnage ou l’agitation du génie en devenir.
Dans ce portrait brossé d’une manière nouvelle, presque expressionniste, Emile Deroy montre lui aussi un vrai talent de peintre qui ne cherche qu’à se développer. Malheureusement, trop peu nombreuses sont les oeuvres de cet artiste mort dans la fleur de l’âge. Dans ses Souvenirs, Théodore de Banville raconte que le dernier portrait peint par Deroy fut celui du père de l’écrivain, le lieutenant de vaisseau Claude-Théodore Faullain de Banville (1846, Versailles, musée national du château). La peinture à peine achevée, le peintre et son modèle furent tous les deux emportés à quelques semaines d’intervalle. Banville conclut ainsi le chapitre qu’il consacre à son ami : « Il a senti ses lèvres touchées par le charbon du génie, et il n’a pas bu le vin amer de la gloire avec sa lie et ses dégoûts, sa part n’a-t-elle pas été la meilleure ? Car travailler, lutter, souffrir, espérer, ce n’est rien ; mais qui dira les rancoeurs et les abominables angoisses du triomphe ? »
Musée de la Vie Romantique
Du 20 septembre 2016 au 29 janvier 2017
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