Bien que son nom nous soit aujourd’hui quasiment inconnu, nous avons tous certainement croisé, dans des palais ou des livres d’histoire, les portraits de Philip Alexius de Laszlo (1869-1937). Issu d’un milieu modeste, ce Hongrois s’est imposé comme le portraitiste des monarques et de l’aristocratie européenne à la fin du XIXème siècle. Travailleur acharné, il a peint près de 3000 portraits au cours de sa longue carrière, faisant de lui le témoin d’une époque et d’un style de vie en déclin.
Fils d’un tailleur, né à Pest en 1869, rien ne destinait Fülop Laub (il changera son nom en 1891) à devenir peintre. C’est en voyant l’oeuvre de son compatriote Mihaly Munkacsy (1843-1900), Le Christ devant Pilate en 1881 (Musée Déri, Debrecen, dépôt) que le garçon a une véritable révélation sur son futur métier. S’enchaîne alors une période d’apprentissage où il s’initie tour à tour aux décors de théâtre, à la sculpture d’architecture, à la peinture sur porcelaine, à la peinture d’enseigne, et enfin à la retouche de photographies. Montrant très jeune des capacités exceptionnelles qui éveillent la jalousie de ses camarades d’apprentissage, il doit changer souvent de maître, jusqu’à ce qu’il se fasse remarquer pour son portrait d’après photo d’un membre du Parlement hongrois alors qu’il a seulement 15 ans.
Ayant suivi des cours de dessins, il envoie en 1888 une peinture à l’exposition de noël de l’Académie d’art de Budapest qui entre dans les collections de l’Empereur François Joseph. Il obtient également une bourse pour aller étudier à l’Accademia di Belle Arti de Venise mais, pris d’une fièvre à son arrivée en Italie, il doit rentrer au pays pour se rétablir. Il fréquente ensuite pendant quelques mois l’Académie d’Art de Munich, puis l’Académie Julian à Paris où il étudie sous la direction de Jules Joseph Lefebvre (1834-1912) et Benjamin-Constant (1845-1902). Ses premières peintures, inspirées par ses séjours dans la campagne hongroise, sont surtout des scènes rurales et des portraits de son entourage. Il commence à gagner sa vie grâce à sa peinture dès 1890 avec des scènes comme La Conteuse (1891, localisation inconnue). C’est à cette époque également qu’il rencontre à Dresde la femme de sa vie, une jeune Irlandaise nommée Lucy Guiness, qu’il épousera en 1901 et qui sera la mère de ses cinq fils.
En 1894, il reçoit la commande des deux portraits du prince et de la princesse de Bulgarie, puis celui de l’archimandrite Gregorius de Philippopolis à Sofia. A Budapest, Laszlo commence à peindre les portraits des membres des vieilles familles de l’aristocratie hongroise et s’installe dans son propre atelier. Sa réputation traverse rapidement les frontières, en Allemagne et en France, où il expose au Salon de 1898. En France, il fait la connaissance du comte et de la comtesse de Castellane et d’Armand de Gramont, qui seront pour lui d’un grand soutien tout au long de sa carrière. En 1900, il obtient une médaille pour son portrait du pape Léon XIII à l’Exposition universelle de Paris. Eternel voyageur, l’artiste pose ses valises à Vienne en 1903, mais c’est à Londres qu’il s’installe définitivement en 1907 – il obtiendra finalement la nationalité britannique en 1913.
En Grande-Bretagne, il réalise les portraits de la famille royale à plusieurs reprises et assiste en 1911 au couronnement de George V d’Angleterre. Il peint toutes les grandes personnalités de l’époque – le président américain Théodore Roosevelt, l’Empereur Guillaume II, le roi et la reine d’Espagne – les plus belles femmes de la bonne société britannique et française, dont Anna de Noailles et la comtesse Greffulhe.
La Première Guerre Mondiale met un terme à cette période fastueuse. Emprisonné pour trahison pendant plusieurs mois, il connaît ensuite de grosses difficultés financières. La guerre ayant bouleversé les ordres établis, les commandes se raréfient. C’est vers les Etats-Unis que Laszlo doit se tourner afin de trouver une nouvelle clientèle aisée. Dans cette dernière période de sa carrière, il réalise néanmoins quelques grandes commandes en Europe. Fasciné par la personnalité de l’homme de pouvoir, il peint notamment Mussolini, au retour d’un voyage en Tunisie, mais aussi la future Elisabeth II d’Angleterre. C’est surtout l’époque des honneurs pour ce fils de tailleur : après plusieurs grandes expositions à Londres, il est nommé président de la Royal Society of British Artists en 1927. En 1930, lassé de tous ses portraits, il souhaite faire ce qui lui plait réellement et peint son seul nu. C’est d’épuisement que Philip de Laszlo s’éteint en 1937 à Londres laissant des centaines de portraits derrière lui.
Paradoxalement, c’est son talent exceptionnel, sa capacité à rendre la personnalité de ses modèles sur la toile qui a peut-être participé à l’oubli relatif de Laszlo en Europe. En effet, leurs propriétaires ne souhaitant pas s’en séparer, rares sont les oeuvres de Laszlo que l’on peut voir dans les musées. Mais les descendants de Laszlo ont entrepris un important travail de recensement de ses oeuvres qui devrait bientôt mener à l’écriture d’un premier catalogue raisonné.
M.D.
Sources :
Duff Hart-Davis, Philip de Laszlo, his life and art, Yale University Press, 2010
De Laszlo Archive Trust
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