Artistes

Constance Charpentier (1767–1849) – par Gildas Dacre-Wright

04/10/2014

Portrait de Julie par Constance Charpentier

Constance Marie Blondelu, qui deviendra par mariage Constance Marie Charpentier, est née à Paris le 4 avril 1767 et y est décédée, à 82 ans, le 2 août 1849. Sa passion fut la peinture mais la vie ne lui épargna ni les émotions sous la Révolution, ni les peines dans sa vie familiale.

Peintre avant tout, elle exposa au Salon une soixantaine de tableaux de 1795 à 1819. Un « prix d’encouragement » lui fut attribué en 1799 pour « La veuve d’une journée » et «La veuve d’une année », scènes de genre très « parlantes » pour le public de l’époque malheureusement trop habitué à la disparition de jeunes hommes au combat et au désespoir en résultant pour leurs jeunes épouses suivi, une année ayant passée, de leur joyeuse consolation [1]. Son tableau « La Mélancolie », exposé au Salon de 1801, fut acheté par l’Etat pour 1580 francs. Cette jeune femme rêveuse sur fond de saule pleureur exprimait bien le romantisme naissant en ce début du XIX° siècle ; il se trouve aujourd’hui au musée d’Amiens [2]. Constance Charpentier reçut une médaille d’or à l’issue du Salon de 1814 où il fut reconnu qu’elle s’était particulièrement distinguée [3].

Mais ces manifestations publiques de l’estime en laquelle la tenaient ses contemporains ne peuvent masquer les difficultés qui firent de sa vie de femme tout sauf un fleuve tranquille.

Son père, Pierre Alexandre Hyacinthe Blondelu, était « marchand épicier à Paris », métier qu’il exerçait Cour du Commerce, cet étroit passage dont subsiste encore une partie donnant sur le boulevard Saint-Germain en face de la statue de Georges Danton. Les Blondelu étaient originaires de Moreuil en Picardie. Certains avaient couru leur chance à Paris comme le père de Pierre Alexandre Hyacinthe, d’autres étaient solidement implantés à Noyon. Les liens restaient étroits entre les Noyonnais et les Parisiens qui aimaient aller retrouver leurs parents picards quand l’été se faisait trop étouffant dans la capitale. Pierre Alexandre Hyacinthe avait épousé Marie Angélique Debacq, d’origine picarde elle aussi. Constance Marie, que l’on appelait couramment Constance, était leur fille unique.

La Cour du Commerce abritait un petit monde bourgeois. On y trouvait, par exemple, un peintre, Jean-Baptiste Regnault qui avait alors notamment pour élève Louis Lafitte, un médecin ou encore un huissier-audiencier, Marc-Antoine Gély, cousin de Marie Angélique Debacq, avec son épouse et leurs trois filles dont la plus jeune, Louise Sébastienne, était promise à un destin qu’elle ne pouvait soupçonner. C’est dans ce calme petit coin de Paris qu’en 1787 vint s’installer, au premier étage du n° 24, un jeune ménage qui en devint rapidement le centre d’intérêt : Georges Danton et sa jeune épouse Antoinette Gabrielle Charpentier, fille d’un ancien commis de la Ferme qui était alors propriétaire d’un café, le Parnasse, situé au n°3 du quai de l’Ecole. Antoinette Gabrielle avait deux frères, dont le plus jeune, François-Victor lui était très attaché. La convivialité de la Cour du Commerce fit le reste. François-Victor Charpentier et Constance Blondelu firent connaissance et se plurent.

Vint la Révolution dont on sait le rôle que Georges Danton y a tenu. La famille de Noyon ne voyait pas d’un très bon œil ce Charpentier, fils d’un limonadier et beau-frère d’un homme politique dont on ne parlait que trop et pas forcément en bien. Son accord fut long à obtenir et ne fut donné qu’après le décès en couches d’Antoinette Gabrielle Danton en février 1793. Constance fit valoir qu’elle s’était engagée auprès de la mère d’Antoinette Gabrielle à combler le chagrin que lui causait la disparition de sa fille unique. Elle fut entendue. François-Victor Charpentier et Constance Blondelu se marièrent en avril 1793 et s’installèrent au n° 17 de la rue du Théâtre français, aujourd’hui n°21 de la rue de l’Odéon.

Pour Constance, la période n’était guère propice à la peinture. Elle avait essayé, sans succès, d’obtenir l’agrément de l’Académie pour pouvoir exposer au Salon [4]. La nécessité de cet agrément avait bien été supprimée en 1791 mais l’atelier de David, où Constance avait été admise en 1784 après son apprentissage du dessin auprès de Johan Georg Wille, était en effervescence du fait de l’ardeur révolutionnaire du Maître. Alors, plus tentée par l’art du portrait que par les grandes compositions antiques, elle avait fait, à domicile, le portrait de sa mère et celui de son futur beau-frère [5]. Ce portrait de Georges Danton se trouve aujourd’hui à Paris, au musée Carnavalet.

C’était prendre date en attendant des jours meilleurs. On en était encore loin.

Juin 1793 : François-Victor et Constance Charpentier sont témoins au contrat de mariage de Georges Danton et Louise Sébastienne Gély, ahurissante union du tribun et de la très jeune fille de dix-sept ans qui, depuis longtemps, descendait du deuxième étage du n° 24 de la Cour du Commerce pour s’occuper de ses enfants au premier étage du même immeuble. Février 1794 : Constance Charpentier met au monde une petite fille prénommée Julie-Constance. Avril 1794 : Georges Danton et ses partisans sont guillotinés. Terreur ! Etre beau-frère et belle-sœur du tribun était-il un crime contre la Nation ? Quand même pas. Mais François-Victor est employé de l’agent national de la commune de Paris. Juillet 1794 : Robespierre et ses partisans sont guillotinés, la Commune de Paris est déclarée hors-la-loi et quatre-vingt dix de ses membres sont guillotinés. Terreur ! Etre hors-la-loi conduit directement à l’échafaud sans jugement ! François-Victor y échappe pourtant [6].

On pouvait respirer, enfin !

François-Victor avait été intégré au département de Paris qui deviendra département de la Seine où il finira sa carrière comme chef de division à son décès en 1810. Julie-Constance grandissait sous l’œil attentif et attendri de sa grand-mère que le ménage avait recueilli. Constance peignait, à Paris dans son atelier [7] du 17 de la rue du Théâtre français, en collaboration avec ses contemporains, François Gérard, Pierre Bouillon qui habitait dans la même rue et Louis Lafitte qui, en 1795, avait emménagé dans le même immeuble. Elle peignait l’été chez ses oncles, tantes, cousins et cousines de Noyon s’agaçant parfois, dans ses lettres à François-Victor resté dans la capitale par nécessité professionnelle, du temps qui lui manquait du fait des contraintes que ses obligations de mère de famille lui imposaient.

De 1795 à 1819, on l’a dit, elle a exposé au Salon. Tous les ans quand elle pouvait, ainsi de 1798 à 1801, tous les deux ou trois ans autrement : douze Salons en tout.

La « Collection des livrets des anciennes expositions », conservée au musée des arts décoratifs de Paris, fait état, pour elle et au total, de onze scènes de genre et d’une cinquantaine de portraits. Mais son œuvre ne se limite pas à ce décompte. Constance peignait, vendait, donnait et, aujourd’hui encore, surgit de temps à autre, au gré d’une vente successorale ou par révélation d’un tableau toujours accroché sur un mur familial, une scène de genre ou un portrait dument signés et méconnus jusqu’alors. Une trentaine de ces tableaux sont ainsi identifiés à ce jour.

Constance Charpentier n’a pas cherché à suivre son ancien maître, Jacques-Louis David, dans ses magnifiques compositions impériales. Paisible, elle regardait autour d’elle, sensible à l’air du temps, attentive à la vie qui l’entourait, peu soucieuse d’échapper à la vie bourgeoise dans laquelle elle se sentait bien et dont elle aimait décrire comme en passant et sans s’y arrêter les intérieurs confortables.

« Une mère recevant la confidence de sa fille », Constance Charpentier – Salon de 1812 - Huile sur toile – Coll. part. - © cl. auteur

« Une mère recevant la confidence de sa fille », Constance Charpentier – Salon de 1812 – Huile sur toile – Coll. part. – © cl. auteur

Au-delà de « La mélancolie » bien connue et déjà citée, arrêtons-nous un instant sur « Une mère recevant les confidences de sa fille » exposé au Salon de 1812. Le sujet est clair : Une jeune fille, vêtue d’une longue robe blanche à la mode élégante de l’Empire, revient manifestement d’un bal, il est tard, et ses confidences troublées et pudiques ont du mal à répondre aux interrogations de sa mère, solide bourgeoise en peignoir qui aimerait bien savoir quel museau se cache derrière tant d’émotion. On est dans un salon confortable, canapé posé devant un grand miroir à demi masqué par une lourde tenture où domine le vert sombre, tapis aux motifs géométriques soignés, guéridon supportant un vase garni de fleurs fraîches et un carnet écorné qui pourrait bien être un répertoire des familles connues. Hors le blanc lumineux de la robe de la demoiselle, les tons sont chauds manifestant le confort du gîte familial. Scène d’époque dans laquelle bien des mères de famille de la bourgeoisie parisienne pouvaient aisément se retrouver.

Lorsque ce tableau a été peint, Julie Constance avait huit ans et Constance, en donnant libre cours à son imagination pour élaborer cette scène intime avec des personnages de fiction, s’imaginait peut-être elle-même quelques années plus tard quand sa fille aurait l’âge de lui revenir un soir dans les mêmes dispositions. Mais cette Julie Constance là n’était évidemment pas celle qui était née en 1794. Elle était née en 1804 après le tragique décès de sa sœur en 1803 à la suite d’un absurde accident ménager. « Terre de peine et de douleur » avait alors gémi Constance dans une lettre à une amie.

« Portrait de l’auteur et de sa fille » Constance Charpentier – Salon de 1799 – Huile sur toile – 81x103 cm. – Vente Monaco 7 décembre 1990 - © Christie’s

« Portrait de l’auteur et de sa fille »
Constance Charpentier – Salon de 1799 – Huile sur toile – 81×103 cm. – Vente Monaco 7 décembre 1990 – © Christie’s

Au Salon de 1799, Constance avait exposé un autoportrait intitulé « « Portrait de l’auteur et de sa fille ». Il s’agissait de la première Julie Constance, mignonne petite fille en robe blanche et aux boucles blondes alors âgée de cinq ans. Neuf ans plus tard, en 1808, Constance a fait un beau portrait de sa deuxième fille, bien sage, en robe blanche également, égayée par une ceinture et des pantoufles rouges. Nulle recherche compliquée dans ce tableau intimement familial, la vie, simplement, regardée avec la tendresse d’une mère et la délicatesse d’une peintre de talent.

Et, puisque nous en sommes aux portraits, comment ne pas admirer le ravissant visage de cette « Jeune fille à la perle » daté de 1807 et signé « Blondelu-Charpentier fecit »[8].

« La jeune fille à la perle », Constance Charpentier – Huile sur toile – 40,5x33 cm. – Vente Drouot 2 décembre 2005 - © Drouot.

« La jeune fille à la perle », Constance Charpentier – Huile sur toile – 40,5×33 cm. – Vente Drouot 2 décembre 2005 – © Drouot.

Constance Charpentier n’a plus exposé au Salon après 1819. Depuis le décès de sa mère en 1815, elle restait seule avec sa fille âgée de quinze ans. Non qu’elle manquât de relations mais, sans fortune, il fallait bien vivre. Elle avait des élèves. Portraitiste reconnue, elle avait des clients. Il lui fallait surtout prévoir l’avenir de Julie Constance.

Constance avait conservé d’excellentes relations avec un vieux ménage ami de sa mère et bien connu en son temps de la Cour du Commerce. Charles Daniel et Henriette Gaultier de Claubry avaient deux fils. Le deuxième, Henri, avait 27 ans en 1819 et avait déjà bien entamé une brillante carrière qui l’amènera un jour à l’Académie de pharmacie. Six ans plus tard, en 1825, Julie Constance Charpentier épousa Henri Gaultier de Claubry. Ils s’installèrent au n° 4 de la rue Servandoni, à côté de l’église Saint-Sulpice. Quatre enfants naquirent mais Julie Constance décéda en 1833 à la naissance du quatrième. « Terre de peine et de douleur », une fois de plus, pour Constance qui voyait disparaître bien trop tôt sa deuxième fille. Qui pouvait s’occuper de ses quatre petits-enfants dont l’aîné avait juste sept ans et dont le père était fort occupé ? Constance quitta son appartement de la rue de l’Odéon et vint s’installer au plus près de la rue Servandoni, au n° 5 de la rue du Pot de Fer-Saint Sulpice, et y pourvut. Elle conserva cependant des élèves jusqu’à un âge avancé. A soixante-quinze ans, elle félicitait encore l’une d’entre elle pour son futur mariage. Quant à peindre, elle n’en n’avait plus guère le temps ni, peut-être, le courage. Elle en eut tout de même assez pour faire les portraits de ses petits-enfants et même un autoportrait [9].

Gildas Dacre-Wright

[1] www.constance-charpentier.fr – Monographie : Constance Charpentier- Peintre – (1767-1849) – Gildas Dacre-Wright – p.53.
[2] Ibid. p.65.
[3] Ibid. p.87.
[4] Ibid. p.20 et 21.
[5] Ibid. p.27.
[6] On s’est plu à imaginer comment : Gildas Dacre-Wright – Le spectateur engagé, ou que faire sou la Révolution quand on est Parisien et beau-frère de Georges Danton – L’Harmattan – 2012.
[7] Monographie citée p.80.
[8] On peut se reporter à la monographie déjà citée pour les autres scènes de genre et portraits peints par Constance Charpentier et connus aujourd’hui.
[9] Ibid. p.97.

L’auteur : Gildas Dacre-Wright (http://www.constance-charpentier.fr)
Il y avait des tableaux pendus aux murs du domicile familial. De Madame Charpentier nous disait-on, ce qui, en toute ignorance d’enfants, nous laissait indifférents. L’exposition « De David à Delacroix » en 1974 nous apprit qu’elle avait été élève de David, mais il fallut internet pour que, bien plus tard, le hasard d’une interrogation me révèle qu’elle avait été la belle-sœur de Georges Danton. De quoi aiguiser ma curiosité ! Carrière accomplie – officier de marine puis magistrat – il suffisait de chercher : archives familiales,  nationales, de Paris, du Louvre, documents historiques sur la Révolution, Danton, Noyon, ouvrages sur la peinture néoclassique et sur les femmes-peintres de l’époque, contacts nouveaux établis à cette occasion : le puzzle se reconstitua peu à peu. Il ne restait plus qu’à écrire, passionnément, mais sans illusion sur d’éventuelles insuffisances n’étant pas historien et, moins encore, historien d’art.


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