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Léon Delachaux (1850-1919), un peintre entre deux rives

13/10/2014
Léon Delachaux, la famille du cordonnier (détail)

La famille du cordonnier, c.1909, Huile sur toile, Signé en bas à gauche L Delachaux
Ancienne collection Léon Delachaux ; Donation Clarence Delachaux (1875-1941) au Musée Saint-Vic de saint Amand-Montrond en 1938. Saint Amand-Montrond, Musée Saint Vic, Inv. 938.2.4
Exposition 1909 Paris, Salon SNBA n° 342 – 1915, San Francisco
Photo : Stéphane Briolant (détail)


C’est à l’Hôtel Le Marois, à deux pas des Champs-Elysées, que s’est tenu le 9 octobre dernier un évènement exceptionnel et probablement inédit dans le milieu de l’art français. Le siège de l’association France-Amériques accueillait en effet pour une soirée seulement une conférence-exposition exclusivement consacrée au peintre Léon Delachaux (1850-1919). Seuls quelques privilégiés ont eu la chance de participer à cet évènement organisé par le fonds de dotation Léon Delachaux qui marque l’aboutissement de trois années de recherches sur cet artiste.

Né en 1850 dans le Doubs de parents horlogers suisse et français, Léon Delachaux a un parcours artistique assez atypique. Après une enfance difficile – son père ruiné se suicide lorsqu’il a 5 ans – il commence sa carrière comme peintre sur carrosserie puis devient graveur sur métaux précieux en Suisse. Cet emploi lui offre une opportunité exceptionnelle : celle de partir aux Etats-Unis pour travailler pour un joaillier, probablement Tiffany. C’est de l’autre côté de l’Atlantique, à l’occasion de la Centennial International Exhibition de Philadelphie de 1876, qu’il décide de devenir peintre et se forme pour cela auprès de Thomas Eakins. Aux Amériques, il fait également la connaissance de Pauline, une couturière et coiffeuse originaire des Vosges qu’il épouse en 1875 ; elle est son grand amour, sa muse et la mère de son fils unique Clarence, né la même année à Philadelphie. Son attachement à sa famille nous rappelle celui d’un peintre de notre connaissance.

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The Banjo Player (1881), Huile sur toile. Signé et daté en bas à gauche L Delachaux 1881. Ancienne Collection Evelyn Ellis Smith, Oakland, California, 1917, à ses descendants. Vente Christie’s, New York, USA, 5 juin 1997, lot 53. Vente Sotheby’s, New York, USA 9 Mai 2014, lot 21. Collection Fonds de Dotation Léon Delachaux. Photo Stéphane Briolant

Rapidement intégré dans les réseaux artistiques américains de l’époque, le peintre rentre en France en 1883 tout en gardant des liens très forts avec les Etats-Unis (il acquiert d’ailleurs la nationalité américaine). Commence alors la seconde partie de sa carrière artistique, d’abord à Grez-sur-Loing où Delachaux fréquente la communauté d’artistes internationaux qui y peint en plein-air, puis à Paris. En France, il suit quelques temps l’enseignement de Pascal Dagnan-Bouveret, proche de Thomas Eakins. Il participe aux grands évènements qui rythment le monde artistique dont le Salon des Artistes Français, le Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts et l’Exposition Universelle de 1889 où il obtient une médaille de bronze avec une scène de genre, sa spécialité (deux peintures acquises au Salon se trouvent aujourd’hui au Musée d’Orsay). Au début du XXème siècle, il s’installe à Saint-Amand-Montrond dans le Cher, où il s’adonne aux paysages. Il y meurt en 1919. Considéré par les critiques de son époque comme « un maître de l’intimité » doté de « dons d’observations émues », il reste assez peu connu aujourd’hui, ses oeuvres étant dispersées aux quatre coins du globe.

Créé en 2011 à l’initiative de l’arrière-petite-fille du peintre, Marie Delachaux, le Fonds de Dotation Léon Delachaux – outil innovant de financement du mécénat – a pour objectif de reconstituer le parcours humain et artistique de cet artiste. Cette mission passe notamment par la constitution d’un fonds documentaire et le recensement des œuvres de l’artiste en vue de l’édition d’un catalogue raisonné, la recherche biographique et artistique, la valorisation, conservation et restauration des œuvres acquises par le Fonds de dotation. Ce travail scientifique, réalisé par une petite équipe évoluant dans le monde de l’art, doit permettre la diffusion, la connaissance et le rayonnement de Léon Delachaux, notamment dans le cadre de manifestations culturelles.

Voici donc une première manifestation culturelle organisée dans l’espoir de susciter l’intérêt du monde de l’art parisien. Ce souhait semble exhaussé puisque des dizaines de curieux s’étaient déplacés pour assister à une conférence faisant le point sur les travaux réalisés, mais surtout découvrir 80 oeuvres de Delachaux réunies pour la première fois. Cette exposition éphémère présentait en effet un aperçu très complet de l’oeuvre du peintre grâce aux prêts de collectionneurs privés européens et américains, mais aussi de collections publiques (en particulier le Musée Saint-Vic à Saint-Amand-Montrond dans le Cher). Dans les salons du premier étage de l’hôtel particulier du Second Empire, l’exposition retrace les grandes étapes de la carrière de Léon Delachaux, en mettant en avant les différents genres dans lesquels il s’est illustré en peinture, tout en laissant une place aux études.

Les scènes de la vie quotidienne, en particulier, reflètent le talent du peintre qui parvient à nous faire entrer dans l’intimité des paysans et « petits métiers » de l’époque avec une grande sensibilité. S’inspirant des scènes d’intérieur hollandaises du XVIIème siècle, Delachaux s’illustre par son travail de la lumière et des reflets qui soulignent subtilement les modèles peints avec une extrême finesse. Ces moments d’intimité semblent volés, l’usage de la photographie par Delachaux – suivant l’exemple de Eakins – n’étant pas étranger à cette impression. La sérénité qui émane de ces scènes, essentiellement féminines, donne une vision du monde paysan à l’opposé de celle que montre à cette époque un artiste comme Millet. Dans The Banjo Player (1881), retrouvé récemment dans une vente aux Etats-Unis, sa vision des noirs américains est elle-aussi dénuée de tout jugement ou pathos. Notons que l’éclairage adopté pour l’exposition met parfaitement bien en valeur ces petits formats, notamment le très réussi camaïeu de Lecture Pieuse (1887, ancienne collection de la Baronne Eugène de Rothschild).

Lecture Pieuse (1887), Huile sur toile Signé et daté en bas à gauche L Delachaux 1887. Ancienne collection Baronne Eugène de Rothschild. Vente Sotheby's Paris, 31 mars 2004, lot n°95. Collection particulière Photo Stéphane Briolant

Lecture Pieuse (1887), Huile sur toile
Signé et daté en bas à gauche L Delachaux 1887. Ancienne collection Baronne Eugène de Rothschild. Vente Sotheby’s Paris, 31 mars 2004, lot n°95.
Collection particulière
Photo Stéphane Briolant

Parmi ces oeuvres de petits formats de facture classique, on perçoit d’autres influences de Delachaux : celle des naturalistes (dont fait partie Dagnan-Bouveret) et des néo-impressionnistes, notamment dans un autoportrait non daté (Musée Saint-Vic à Saint Amand Montrond). Vers la fin de sa vie, c’est dans les paysages que Delachaux s’essaie à une touche beaucoup plus libre, proche de celle des Impressionnistes en particulier dans ses paysages sous la neige qui rappellent ceux de Monet ou Sisley.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les résultats intermédiaires des recherches du fonds de dotation Léon Delachaux, sur la production variée du peintre, sur le processus de création d’un peintre formé à la gravure. Espérons que les prochaines manifestations prévues nous permettent de découvrir d’autres raretés et de mieux comprendre le parcours et la pensée de cet artiste. Souhaitons aussi que l’éphémère devienne temporaire et que le privilège de participer à ce type d’évènement soit bientôt partagé par le plus grand nombre.

M.D.

Vers le site internet du Fonds de Dotation Léon Delachaux

1 commentaire

  • lolita
    22/04/2018 at 7:13

    really great

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